J’ai vu le film en avant-première la semaine dernière, dans le cadre du Festival du Cinéma américain des Champs Elysées, et mon avis est très enthousiaste !
Nous n’avons pas eu droit à une adaptation cinématographique d’un roman de Jane Austen depuis une décennie et c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai découvert cette transposition à l’écran de Lady Susan, une œuvre méconnue mais oh combien intéressante.
Dès la première seconde, le spectateur comprend que le film se situera bien davantage dans une veine ironique et satirique que romantique. C’est un choix qui sera assumé et revendiqué par le réalisateur du début à la fin et qui déconcertera peut-être les spectateurs qui avaient jusqu’ici une autre image de l’œuvre de Jane Austen.
Whit Stillman a décidé de livrer une adaptation irrévérencieuse et presque féroce de la nouvelle épistolaire de Jane Austen et c’est tant mieux. Il s’en donne à cœur joie et ça se ressent dans tous les aspects de son film. Je crois que je n’ai jamais autant ri devant une adaptation d’une œuvre de Jane Austen, les rires fusaient dans toute la salle, ce qui était assez enthousiasmant.
Love & Friendship est un film impertinent, plein de verve et d’allant, et à l’image parfaite de son (anti-)héroïne, la séduisante et perfide Lady Susan Vernon.
Lady Susan est incarnée par une Kate Beckinsale au meilleur de sa forme et tellement à l’aise dans ce rôle qu’il semble avoir été écrit sur mesure pour elle. C’est un réel plaisir de retrouver cette actrice dans une production de qualité et surtout dans un rôle qui lui permet d’exprimer son talent. Elle sait exactement comment poser sa voix et fait preuve de beaucoup de distinction et d’élégance dans sa manière de se mouvoir. Il y a quelque chose de moderne dans son interprétation et en même temps elle est très crédible en lady du XIXème siècle. L’actrice Kate Beckinsale semble beaucoup s’être amusée à jouer une partition aussi délicate, son jeu est plein de mordant et de finesse.
Tout le casting est formidable. Chloe Sevigny incarne une Mrs Johnson, amie et complice des vices de Lady Susan, avec beaucoup d’aplomb. Quelle bonne idée d’avoir fait d’elle une américaine ! Les blagues que Lady Susan fait sur l’Amérique sont assez impitoyables.
Xavier Samuel est également très bon en jeune premier, un rôle difficile car même s’il est séduisant il devient pathétique car tourné en ridicule par les constantes manipulations de Lady Susan qui n’a de cesse de flatter son égo.
Stephen Fry est excellent dans les rares scènes où il apparaît mais la palme du rôle comique revient sans le moindre doute à Tom Bennett. L’acteur se révèle être l’incarnation parfaite de la bouffonerie et de la crétinerie si souvent moquée par Jane Austen. A chacune de ses apparitions (fort remarquées), on assiste à un festival de bêtise. Ce n’est pas tant ce qu’il dit qui est drôle que la manière dont il le dit. Cet acteur a un vrai talent de comédien et mérite tous les éloges qu’il a reçus de la presse américaine et britannique. Son personnage aurait, à mon avis, ravi Jane Austen !
Sir James apparaît bien dans la nouvelle (son rôle est même majeur dans le déroulement de l’intrigue) mais son rôle a été largement développé dans le film. Whit Stillman a très bien saisi son potentiel comique et a modelé un personnage absolument réjouissant.
Les acteurs secondaires ne sont pas en reste et parviennent tous à trouver leur place dans un récit qui abonde pourtant de personnages.
Whit Stillman a livré ici un remarquable travail de scénariste. Le film n’est pas une illustration de la nouvelle. L’intrigue a été fidèlement adaptée mais le réalisateur a été bien au delà. On sent son admiration pour Jane Austen transparaître tout au long du récit mais on sent également qu’il a mis beaucoup de lui-même dans son film. Son esprit et sa verve sont bien là et le résultat s’avère résolument moderne. La mise en scène est solide et de bonne tenue, les dialogues ciselés et spirituels, le montage adroit. C’est vraiment du bel ouvrage. J’ai notamment beaucoup apprécié l’ouverture du film avec la présentation des personnages sous forme de vignettes. Ici, l’ironie prend vie aussi bien dans la forme que dans le fond.
Comme tous les récits de Jane Austen, cette comédie de moeurs repose essentiellement sur le jeu des illusions (et des désillusions). Ce jeu se retrouve bien au cœur de la mise en scène du film mais la nouvelle, dans son ensemble, n’a pas du être une mince affaire à adapter. Sa forme épistolaire a heureusement été très bien transposée à l’écran. Le réalisateur a du opérer quelques modifications et ajustements pour donner plus de fluidité et d’épaisseur son adaptation. Il a notamment créé le personnage de Mrs Cross, la gouvernante de Lady Susan, pour lui donner une confidente, et ainsi créer une autre victime et témoin de ses méfaits et de son manque total de moralité. Stillman fait preuve de beaucoup de dextérité dans la construction de son récit.
Certains critiques de cinéma enthousiastes ont exprimé leur reconnaissance à Whit Stillman pour avoir « dépoussiérer Jane Austen ». C’est absurde quand on sait à quel point Jane Austen – qui avait écrit cette nouvelle alors qu’elle n’était qu’une jeune fille de 17 ans- est moderne, et Whit Stillman l’a d’ailleurs bien compris aussi ! Son film est très soigné mais n’est pas sage pour autant. Il a quelque chose de jubilatoire. Inutile de vous dire que je le reverrai avec plaisir si j’en ai l’occasion !