






Bien avant sa diffusion, cette adaptation alimentait déjà la polémique. Il faut dire qu’ Andrew Davies, le scénariste de Pride & Prejudice 95 et Bleak House (entre bien d’autres) aime, lorsqu’il « s’attaque » à un chef d’œuvre de la littérature, faire naître un doux parfum de scandale et de controverse, relayé ensuite allègrement par les médias britanniques. On parlait déjà de sexe de scènes ajoutées, d’inceste et j’en passe. Au final, c’est encore une fois beaucoup de bruit pour rien. Son scénario, et la série dans son ensemble, m’ont semblée de très grande qualité. Cette adaptation BBC se classe désormais parmi mes period dramas préférés, de ceux que je reverrai avec plaisir.
Co-produite par la Weinstein Company, la série a été proposée au public comme l’adaptation d’un grand classique pour une nouvelle génération. Même si on peut lui reprocher un petit côté racoleur, il y a quelque chose de vrai dans cette annonce …
La version télévisée de 2007 (la co-production franco-italo-allemande de Robert Dornhelm, avec Clémence Poesy dans le rôle de Natacha) a à mon avis, vieilli avant l’heure. Sentimentale (pour ne pas dire édulcorée) et réalisée de manière empesée et classique, elle proposait une mise en scène purement illustrative du roman et surtout, sans éclat. La version de la BBC est plus moderne, plus sombre, plus vivante et intense et selon moi, plus proche du roman de Tolstoï.
La qualité de la série doit, comme il se doit, beaucoup à son réalisateur. Tom Harper, âgé de seulement 35 ans, a travaillé sur bon nombre de séries télévisées. On lui doit notamment quelques épisodes de la série Peaky Blinders. Lorsque j’ai appris qu’il avait été choisi pour mettre en scène cet ambitieux projet, je partais naturellement avec un excellent à priori et il ne m’a pas déçue.Voilà un jeune réalisateur capable d’insuffler du rythme et du souffle à son récit et de nous offrir des plans soignés et travaillés. Tom Harper filme avec fluidité et une liberté assez exaltantes. Il y a de la symétrie et une parfaite ordonnance dans ses plans et en même temps, quelque chose de vif, d’animé qui emporte le spectateur. J’ai par exemple adoré les plans d’ouverture de ses épisodes, qui ont une dimension picturale (Napoléon, de dos, surplombant le champ de bataille dans le 1er épisode, ou encore la peinture orthodoxe lors du mariage de Pierre et Helen, dans le 2ème …). On sent que chaque plan est pensé, ordonné, rien n’est laissé au hasard mais cela ne diminue en rien la vivacité et le dynamisme qui imprègnent l’ensemble de sa mise en scène. La photographie est aussi un des grands atouts de cette nouvelle adaptation.
Tom Harper a aussi une manière bien particulière de filmer ses héros. La première apparition de Pierre est mise en scène avec une volonté de le montrer comme un homme maladroit, pas tout à fait à sa place dans la bonne société de St Petersboug. La démarche de Paul Dano est empruntée, son pas lourd. Andrei, lui, est filmé tout d’abord, comme un homme qui observe ses contemporains avec une certaine distance, et un air de détachement qui peut passer pour de l’arrogance. Plus tard, lors de la bataille de Borodino, la caméra s’attardera sur lui pour mettre en valeur son courage, son charisme mais aussi le côté terrible et tragique de son personnage.
Lors de cette fête donnée chez Anna Pavlovna (jouée par Gillian Anderson, qui a plus un rôle de figuration ici que de composition) donnée dans le 1er épisode, le décor est parfaitement planté et les premiers enjeux dessinés. Avec un sens de l’économie et en même temps un certain bon goût esthétique, le réalisateur délivre une scène d’une symétrie parfaite.
Tom Harper se fait plaisir à de nombreuses reprises, en usant de plans larges parfaitement coordonnés (la bataille de Borodino est un vrai moment de bravoure) mais il se montrera tout aussi à l’aise dans les scènes plus intimes ou contemplatives.
La palme de l’interprétation revient pour moi à Paul Dano, qui livre une performance incroyablement solide. Il n’a pas le physique du Pierre décrit par Tolstoï mais cela ne l’a pas empêché d’avoir parfaitement su capturer l’âme du personnage. Vulnérable, sensible, peu sûr de lui mais aussi généreux et terriblement attachant, il a su restituer l’humanité de Pierre dans toute sa splendeur et fragilité.
Les scènes que l’acteur partage avec James Norton font partie de mes préférées. La force du roman repose sur l’amitié et la dualité qui existent entre ces deux personnages, si radicalement opposés et en même temps si proches, et l’adaptation met en valeur leur relation d’une merveilleuse façon. Leur duo fonctionne parfaitement à l’écran.
James Norton est l’acteur le plus jeune qui ait joué Andréi jusqu’ici. C’est un acteur dont j’admire le travail depuis déjà quelques temps et qui ne cesse de me surprendre. Il offre ici une incarnation d’Andrei assez singulière et en même temps très fidèle à la description de Tolstoï. Sous ses traits, Andrei n’est pas l’aristocrate monolithique qu’on a pu voir dépeint dans les autres adaptations. C’est un homme fier, froid, qui peine à exprimer ses sentiments et surtout, d’un abord très peu aimable (contrairement à son ami Pierre, par exemple, qui se révèle tout de suite nettement plus sympathique). C’est aussi, au début du récit, un homme triste, dépressif même, qui s’ajuste mal à la société qui l’entoure, et qui semble avoir fait un mariage malheureux. Cynique, désenchanté, il observe le monde qui l’entoure dans la moindre illusion ni le moindre optimisme. La gloire militaire – et la mort – semblent constituer alors sa seule échappatoire. Le changement qui s’opère en lui d’épisode en épisode est saisissant. Même s’il exprime des sentiments et fait preuve d’une certaine émotivité, il garde toute la réserve, la dignité et la dureté qui siéent à son personnage.
Le choix de Lily James pour le rôle de Natacha a été vivement critiqué. Je dois dire, pour ma part, que l’actrice m’a plutôt convaincue. Dans les premiers épisodes de la série, elle incarne une héroïne encore en devenir, fraîche, lumineuse, innocente et très naïve. Elle gagne en maturité et en ambivalence par la suite et a réussi à m’émouvoir à de nombreuses reprises. Ce n’est sans doute pas son interprétation que je retiendrais le plus mais pour autant, je ne dirais pas qu’elle démérite face aux autres acteurs.
La série n’est bien sûr pas dénuée d’un certain romantisme. Toute la partie où Andrei et Natacha tombent amoureux était comme une parenthèse enchantée, surtout au regard du reste de la série qui est plus oppressante. J’ai apprécié qu’Andrew Davies et Tom Harper aient accordé aux deux héros des scènes très romantiques sans jamais tomber dans un sentimentalisme inapproprié. Il n’y a rien d’outrancier dans la façon de les filmer. La séquence du bal, forcément très attendue, est belle et sobre.
Le reste de la distribution est tout aussi remarquable. Je ne pourrais pas tous les citer alors je vais me contenter de trois noms : Jack Lowden (que je ne connaissais pas mais qui est tout à fait convaincant en Nikola Rostov), la merveilleuse Jessie Buckley (qui charme à chacune de ses apparitions) ou encore Tom Burke (l’un de mes chouchous british – encore un !) qui campe, avec le charisme qu’on lui connaît un Dolokhov délicieusement byronien.
J’ai également apprécié que certains des personnages mineurs puissent briller, chacun à sa façon. C’est le cas, notamment, de trois d’entre eux : Lise Bolkonsky, l’épouse esseulée d’Andrei, Tikhon, le valet du Prince Bolkonsky ou encore le formidable Denisof, un personnage solaire que le scénario d’Andrew Davies met bien en valeur.
La musique a été confiée au talentueux compositeur britannique Martin Phipps (dont je suis et adore le travail depuis Persuasion 2007). La bande son joue beaucoup sur le lyrisme et l’aspect sombre et ténébreux du récit, tout en offrant quelques pièces plus enlevées, lumineuses et joyeuses. Certaines des thèmes musicaux ont quelque chose de véritablement envoûtant et entêtant.
Même si la série s’est donnée les moyens de ses ambitions, le pari était risqué pour la BBC. On pourra bien lui reprocher sa brièveté, certains choix de mise en scène ou de costumes ou encore, comme je l’ai lu trop souvent, son côté résolument trop british (critique absurde s’il en est) mais pour moi, le plaisir reste entier.
Guerre et Paix dresse des portraits de personnages faillibles, corrompus, mais aussi pleins d’amour et d’espoir. Au cœur du récit, se trouvent trois jeunes héros de leur temps, avec des aspirations, des forces et des faiblesses qui leur sont propres. Et à travers eux sont évoquées des thématiques aussi riches que la famille, la politique, l’amour, la société, l’obsession de la gloire et de la guerre. La série restitue tout cela de manière très inspirée et rend un hommage vibrant – et moderne – à ce grand roman russe. Une belle réussite de la part de la BBC, une fois encore !
Titine du blog « Plaisirs à cultiver » a aussi beaucoup aimé, vous pouvez lire son avis ici 🙂
Dans une petite bourgade au milieu des vallées du Yorkshire, un enlèvement tourne mal. Le lieutenant Catherine Cawood est en charge de cette affaire qui coïncide avec la sortie de prison et le retour en ville de l’homme qu’elle juge responsable du suicide de sa fille 8 ans plus tôt… Cette enquête la replonge dans un passé très sombre, et devient rapidement une affaire personnelle.
Retour en 2014 … Intriguée par les bonnes critiques qu’elle a reçues, j’ai eu envie de me plonger dans cette série policière scénarisée par la talentueuse Sally Wainwright. J’ai bien fait car elle s’est rapidement imposée à moi comme l’une des meilleures séries anglaises que j’ai vues ces dernières années.
est bien connue des téléspectateurs anglais puisqu’on lui doit 2 récents gros succès, la série policière et le drama familial Last Tango in Halifax. Je l’avais découverte pour ma part quelques années plus tôt avec Sparkhouse, une série qui proposait une relecture moderne des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë (un auteur qui lui est très cher) et surtout avec un autre thriller, le superbe Unforgiven, avec la brillante Suranne Jones, en 2009.
J’ai trouvé Happy Valley palpitante de bout en bout. La narration de la série est puissante. Lorsqu’on suit le parcours de notre héroïne, on a l’impression qu’on est en train de nous raconter un conte terrible, comme ceux des frères Grimm. L’intrigue commence un peu comme le Fargo des frères Cohen (d’ailleurs, la chevelure blonde peroxydée de Tommy Lee Royce – le némésis de l’héroïne incarné par James Norton – est une référence assez explicite à ce film) mais se révèle finalement bien différent et résolument plus anglais.
La série prend la forme d’un conte cruel et très noir, celui de la monstruosité mais aussi du crime ordinaire. Elle est construite comme un dédale, d’où l’héroïne (pleine de larmes et de fureur mais aussi de force) doit sortir. Chacun des personnages (même minime) a un rôle à jouer dans le récit et participe, chacun à sa manière, au déroulé de l’intrigue.
Le décor fait partie intégrante du récit. Il y a vraiment quelque chose d’unique dans la région du Yorkshire et la série la met très bien en valeur.
La tonalité de la série est très sombre mais on y trouve aussi de la lumière et un vrai élan d’espoir, à travers cette figure de femme lieutenant engagée et déterminée à faire son métier et à protéger sa famille. Catherine Cawood est une femme de tête, une héroïne fière, altière et audacieuse mais qui connaît aussi des instants de vulnérabilité absolument désarmants.
Elle se retrouve souvent en conflit avec sa hiérarchie qui est assez largement dépassée par la situation. Il faut dire que c’est elle qui est au cœur de la vallée, sur le terrain, confrontée aux trafics de drogue à petite ou grande échelle et qui est plus à même de voir ce qui se trame.
Elle forme un duo très solide avec sa sœur, Clare, incarnée par la non moins formidable Siobhan Finneran (qui a quitté Downton Abbey pour cette série, et ce n’est certainement pas moi qui vais l’en blâmer !). Les scènes qu’elles partagent offrent certains des meilleurs moments de la série.
Sarah Lancashire et James Norton ont bien mérité leurs nominations aux BAFTA pour leurs superbes interprétations. L’actrice principale s’est emparée de son personnage avec une force et une implication qui forcent l’admiration. Je l’ai aimée dans des period dramas (Lark Rise to Candleford, The Paradise …), ici, elle surprend dans un registre on ne peut plus différent.
Dans une interview donnée juste après le début de la diffusion de la série, James Norton déclarait avec humour que depuis son rôle dans cette série, 8 millions d’anglais devaient le détester. Quel terrible personnage l’acteur incarne ici ! Il endosse ce rôle avec une sobriété et une subtilité qui touchent au minimalisme le plus efficace et effroyable. Tour à tour tout puissant, manipulateur, arrogant, vaniteux, pathétique et vulnérable, il se révèle être l’un des méchants les plus terrifiants et fascinants que j’ai pu voir sur le petit écran.
Au début, il est surtout vu comme une ombre menaçante, le « big bad » par excellence, le Bogeyman du conte en quelque sorte. Il paraît complètement détraqué et presque hors normes face aux autres « méchants » qu’ils côtoie. Ses « acolytes » sont davantage dépeints comme des personnages médiocres, faibles, qui ont fait les mauvais choix mais qui ne sont certainement pas aussi psychotiques et incontrôlables que lui …
Steve Pemberton est lui aussi tout à fait excellent, dans un rôle très peu glorieux.
Happy Valley est loin d’être uniquement une série policière. Sally Wainwright a choisi d’inscrire son récit en marge de ce que le genre propose habituellement et de se défaire des codes et des procédés narratifs qui lui sont propres. Elle a réussi à dissocier le suspens inhérent au thriller de toute volonté d’érotisation de la violence à l’encontre des femmes. Le point de vue adopté n’est pas celui du criminel. Ce qu’il fait n’est jamais montré comme quelque chose d’excitant. Le viol n’est pas mis en scène et n’est jamais moteur de l’intrigue, et la violence ne se fait jamais gratuite.
Le suspens et le souffle narratif de la série reposent plutôt sur la psychologie et les relations entre les personnages (dans le cercle familial ou au travail par exemple), et sur l’évolution et le parcours tortueux de ses héros.
La mise en scène est soignée et efficace et le scénario imbriqué est construit de manière tout à fait magistrale. De par sa forme très maîtrisée et son sujet passionnant (un drame intime et social), Happy Valley s’est révélé pour moi un drama essentiel, dramatique et troublant mais aussi profondément féministe.
Forte de son succès, la série est revenue cette année pour une 2ème saison. J’ai vu les 2 premiers épisodes (sur les 6) et pour l’instant, je suis conquise une fois encore. Sally Wainwright a l’air de nous réserver encore bien des surprises …
La bande-annonce de la saison 1 (qui reprend le générique de la série, le Trouble Town de Jake Bugg):
Ma note (si j’avais pu ajouter une tasse Luke’s, je l’aurais fait) :