Call me by your name d’Andre Aciman

Call me by your name d’Andre Aciman

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L’adaptation de ce roman signée Luca Guadagnino et avec Timothée Chalamet et Armie Hammer dans les 2 rôles principaux, sorti le 28 février sur les écrans français, a été un des grands évènements ciné de ces derniers mois. J’ai pu lire le livre d’André Aciman avant de découvrir le film et il m’a séduit à tous points de vue.

Elio Perlman se souvient de l’été de ses 17 ans, à la fin des années quatre-vingt. Comme tous les ans, ses parents accueillent dans leur maison sur la côte italienne un jeune universitaire censé assister le père d’Elio, éminent professeur de littérature. Cette année l’invité sera Oliver, dont le charme et l’intelligence sautent aux yeux de tous. Au fil des jours qui passent au bord de la piscine, sur le court de tennis et à table où l’on se laisse aller à des joutes verbales enflammées, Elio se sent de plus en plus attiré par Oliver, tout en séduisant Marzia, la voisine. L’adolescent et le jeune professeur de philosophie s’apprivoisent et se fuient tour à tour, puis la confusion cède la place au désir et à la passion.

Colm Toibin le dit lui même : ce roman est un miracle. Ce roman m’a fait très forte impression. C’est l’un des plus beaux textes que j’ai pu lire sur la fascination, la passion et le désir amoureux. Il offre également une réflexion très riche sur le pouvoir de la mémoire et de l’oubli.
L’histoire d’amour entre Elio et Oliver, un été, dans la campagne italienne, est évoquée avec grâce, poésie et une certaine audace. La prose stylisée d’Andre Aciman est portée par la voix et l’incroyable sensibilité d’Elio, qui campe ici un formidable narrateur. Ses talents intellectuels et sa sophistication font de ce jeune homme un garçon mûr pour son âge. La culture occupe une place primordiale dans sa vie et dans le livre, que ce soit à travers la poésie ou la musique. Shelley et Dante (entre beaucoup d’autres) font des apparitions dans le récit et donnent encore plus de force et de chair à cet éblouissant roman. Bref, je le conseille, et plutôt en VO.

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A noter que le roman a été épuisé en français depuis des années (quelle honte !) mais qu’il a été réédité le 7 février dernier chez Grasset (on peut remercier la sortie du film).

Le film réalisé par Luca Guadagnino et scénarisé par James Ivory m’a beaucoup plu. Le roman m’a semblée plus charnel, plus intense, plus poétique encore mais cela n’enlève rien à toutes les belles qualités cinématographiques de son l’adaptation. Les deux méritent d’être découverts, ne boudons pas notre plaisir ! 🙂

 

Le monde de Persephone Books

Le monde de Persephone Books

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Persephone Books est une maison d’édition ET une librairie au cœur du quartier de Bloomsbury, à Londres, dont je suis l’actualité depuis déjà quelques années maintenant. Fondée en 1998 par Nicola Beauman, Persephone Books s’emploie à rééditer des livres (romans, nouvelles, essais …) méconnus ou oubliés, d’auteurs majoritairement féminins. J’y ai découvert un certain nombre d’ouvrages qui occupent désormais une place privilégié dans ma bibliothèque. Cet éditeur a l’excellent mérite d’apporter un éclairage nouveau sur des textes relativement faciles d’accès mais qui n’en restent pas moins très littéraires. Les genres représentés sont nombreux, le catalogue propose des titres appartenant à la comédie, au drame social, au roman d’amour, à la science fiction en passant par le drame, le thriller, le fantastique ou encore la peinture sociale.
Persephone Books réédite 6 titres par ans (3 au printemps et 3 à l’automne) et propose également deux fois par an un petit magazine richement illustré et très bien écrit (appelé the « biannually »).
La librairie londonienne est à l’image parfaite de sa ligne éditoriale : fort élégante et chaleureuse. On y flâne avec bonheur, la décoration est très soignée, leurs ouvrages y sont incroyablement bien mis en valeur. On y trouve également des petits objets (de la papeterie, de très jolies cartes, des tasses Emma Bridgewater, des tote bags à l’effigie du logo Persephone, des marque pages pour chacun des ouvrages publiés). Bref, c’est une petite librairie à part et un lieu de perdition pour moi à chaque fois que je me rends à Londres.
Leur site internet qui propose aussi la vente en ligne est régulièrement mis à jour http://www.persephonebooks.co.uk/

La maison compte à l’heure actuelle pas moins de 125 titres et proposera le mois prochain 3 nouveaux romans. J’ai ai lu un certain nombre (mais pas autant que je le voudrais). Voici une petite liste des titres que je connais.

Par où commencer ?

  • Miss Pettigrew lives for a day de Winifred Watson : le premier roman publié par Persephone que j’ai découvert, une comédie légère et pétillante qui se déroule sur une seule journée. On y suit les aventures rocambolesques de Miss Pettigrew, vieille fille d’apparence terne, emportée dans un tourbillon de mondanités, de rencontres, de quiproquos et d’éclats de rire. Ce petit roman se lit comme un conte pour adultes, facétieux et plein d’esprit.
  • Miss Buncle’s Book de D.E. Stevenson : quand son premier roman est publié, la vie de Miss Buncle, trentenaire réservée, est à jamais bouleversée. Le livre devient rapidement un best seller mais les ennuis commencent lorsque les habitants du petit village où vit Miss Buncle prennent peu à peu conscience que les personnages un brin ridicules du roman leur ressemblent étrangement … Une comédie de mœurs au charme piquant et suranné qui devrait plaire aux amateurs des « comedies of manners » dont les anglais sont si friands. Un vrai coup de cœur qui m’a donnée envie de lire par la suite tous les autres romans de D.E. Stevenson, lesquels sont, heureusement pour moi, fort nombreux.
  • les romans de Dorothy Whipple : cette femme de lettres anglaise née en 1893 et morte en 1966 est l’un des auteurs phare de la maison d’édition, qui a publié jusqu’ici 2 recueils de nouvelles et 8 de ses romans. J’ai lu 2 romans avec un égal plaisir : High Wages et They were sisters. High Wages est le récit touchant et sensible du parcours personnel et professionnel de Jane, une jeune femme issue d’un milieu populaire, ambitieuse et déterminée, qui souhaite travailler dans la mode. They were sisters est un roman plus dense et empreint de la même finesse psychologique. Sous ses airs doux et calmes, le roman traite un thème très fort : celui de l’amour déçu et de la violence domestique (dans son sens le plus large, et pas forcément physique). Lucy, Charlotte et Vera ont épousé des hommes très différents et leur mariage définira (plus ou moins en partie) leur existence. C’est intéressant de voir de quelle manière leurs choix amoureux mais aussi leur personnalité détermineront leur avenir. Mais pour Dorothy Whipple, pas de déterminisme, ce sont avant tout leurs choix qui définissent le devenir des héroïnes. Et même si elles sont soeurs, Lucy, Charlotte et Vera ne voient pas l’amour de la même façon ni ne partagent les mêmes principes et valeurs.
  • Mariana de Monica Dickens : voilà un roman attachant ! L’arrière petite-fille de Charles Dickens a livré ici un roman irrésistible de fantaisie et plein d’esprit, une coming of age story qui n’est pas sans rappeler Le Château de Cassandra de Dodie Smith ou La Poursuite de l’amour de Nancy Mitford. Lorsqu’il est sorti, en 1940, il a été déprécié au même titre que la chick lit aujourd’hui, plus par préjugés qu’autre chose, j’imagine. Parce qu’on se rend très vite compte qu’il est écrit avec finesse et humour. Les passages sur l’enfance de Mary, dans le domaine de ses grands-parents, sont teintés d’une nostalgie très émouvante. L’évolution, l’accès à la maturité et la découverte de l’amour de l’héroïne sont traités avec délicatesse, drôlerie et beaucoup d’intelligence.

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Petits bijoux méconnus :

  • Lady Rose & Mrs Memmary de Ruby Ferguson : L’histoire nous est racontée sous la forme d’un flash back. Des touristes s’aventurent à Keepsfield, un domaine fictif écossais qui semble, par sa magnificence, n’avoir rien à envier à Chatsworth.
    Curieux de nature, ils y font rapidement la connaissance d’une vieille dame, l’intendante du domaine en question. Mrs Memmary se met alors à leur raconter la vie de la demoiselle qui y vivait : Lady Rose. Ce court récit, aux allures de conte pour adulte, est aussi un roman incroyablement riche, d’un point de vue sociétal. En offrant un portrait féminin fascinant, il a également une dimension féministe.
  • To Bed with grand music de Marghanita Laski : ce roman est à la fois insolite et troublant. Il a aussi quelque chose de sulfureux, ce qui le démarque assez des autres publications de Persephone. Il évoque un sujet finalement assez peu exploité en littérature : la sexualité en temps de guerre. Marghanita Laski est un auteur extrêmement intrigant, qui s’est illustrée dans de nombreux genres littéraires (le drame familial, le roman de mœurs, la comédie noire, le roman gothique …), j’ai hâte de la connaître davantage.
  • Patience de John Coates (titre qui, par son thème, pourrait être associé à celui évoqué juste au-dessus) : « The story of a Proper Girl Improperly in Love« , le sous-titre de l’édition américaine, sortie un an plus tard (c’est à dire en 1954) donne très bien le ton de ce roman. On est dans la comédie de mœurs mais aussi et peut-être surtout dans la comédie de mariage et dans la comédie sentimentale. Le roman a été publié dans une Angleterre pudibonde et très moralisatrice, rien d’étonnant donc qu’il ait fait scandale. Il ose parler du désir féminin avec humour et impertinence. Le parcours de Patience, son éveil à l’amour, à la sexualité qui incarnent ici une forme d’indépendance, de liberté et d’épanouissement personnel, est passionnant à lire.
  • Guard your daughters de Diana Tutton : ce roman a souvent été comparé au Château de Cassandra de Dodie Smith, et pour cause, on y trouve une atmosphère bohême un peu similaire, un humour typiquement anglais et une famille (composée de pas moins de 5 filles) au moins aussi fantasque que celle de Cassandra Mortmain, si ce n’est plus. Mais ce titre publié en 1953 a une certaine singularité. Il s’agit d’une comédie british composée de petites scènes cocasses (une virée au cinéma entre sœurs, un cours de français auprès d’une bonne sœur qui se termine de manière imprévue, l’arrivée inopinée et redoutée d’un oncle très pénible, les discussions rituels dans la salle de bain minuscule …) mais qui n’est pas pour autant dénuée de noirceur. Guard your daughters puise son originalité et sa profondeur dans un certaine dose de mélancolie, une mélancolie teintée de tendresse et de fantaisie, mais aussi amère et poignante.
  • Princes in the land (Désillusion) de Joanna Cannan : Patricia, le personnage central de ce roman, est une femme foncièrement généreuse et désintéressée, qui s’adapte aux besoins et répond aux désirs de ses proches plus qu’aux siens propres. Elle prendra peu à peu conscience qu’en étant aussi exigeante envers elle-même, elle l’est aussi envers les autres et qu’elle ne peut donc aller que vers la frustration et la désillusion. Son bonheur dépend en effet avant tout d’elle-même, n’en déplaise alors au carcan familial qui lui est imposé. J’imagine que pour un livre paru en 1936, il avait quelque chose de résolument révolutionnaire, surtout pour de la littérature dite « domestique » … Sans aucun doute l’un des récits les plus féministes du catalogue et aussi l’un des mieux écrits.

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Les romans américains

Et oui, le catalogue de Persephone Book comptent quelques livres non britanniques et pas des moindres. J’en ai lu deux que je vous conseille fortement :

  • Fidelity de Susan Glaspell : L’intrigue de Fidelity se passe en 1900 et en 1913, dans l’Iowa. Au moyen de flashbacks subtilement mis en scène et grâce à une prose aussi sensible qu’élégante, le roman évoque le parcours de Ruth Holland, une jeune fille de bonne famille qui tombe passionnément amoureuse d’un homme marié un peu plus âgé qu’elle, s’enfuit avec lui et revient un peu plus d’une décennie plus tard chez elle, à Freeport, pour veiller son père mourant. Le roman s’attarde sur les conséquences de ses actes et montre de quelle manière la décision qu’elle a prise a affecté chaque personne de son entourage. Fidelity est un roman  audacieux et avant-gardiste qui pose énormément de questions, sur le statut de la femme notamment et le sentiment amoureux (aussi bien féminin que masculin).
  • Hettie Dorval d’Ethel Wilson : ce roman est d’une grande subtilité, aussi bien dans le style que dans la structure même du récit. Tout au long de cette petit centaine de pages, nous suivons, par bribes, le parcours de la jeune Frankie, de la Colombie Britannique, à Paris, en passant par Vancouver. Bien qu’étant la narratrice, ce n’est pas elle qui donne son nom au roman mais bien la mystérieuse et fascinante Mrs Dorval. Nouvellement installée dans la ville natale de Frankie, elle attire les regards et éveille les soupçons. Frankie fait sa connaissance et la trouve merveilleuse, bien qu’un peu étrange. En effet, Mrs Dorval vit seule avec sa domestique âgée et ne souhaite rendre visite et se lier à personne, à part peut-être Frankie, qui lui semble être une jeune fille sympathique. Encore un roman qui n’est pas sans rappeler les écrits d’Edith Wharton et de Willa Cather, avec à son centre, la figure d’une femme fascinante et mystérieuse jugée par une société étriquée et moralisatrice.

 

Quelques autres titres :

  • The Making of a Marchioness de FH Burnett : l’auteur de The Secret Garden et A Little Princess a écrit un roman « pour adultes » au charme original, une histoire d’amour entre deux héros assez éloignés des clichés romantiques, un récit délicieux dans son genre mais dénué de tout sentimentalisme. C’est un roman oublié mais qui à mon sens a tout à fait sa place dans l’Histoire et la tradition de la littérature féminine anglaise.
  • Cheerful weather for the wedding de Julia Strachey : ce court texte a une grâce évanescente, un petit charme anglais caustique incontestable qui peut déconcerter. L’intrigue se déroule sur une journée, nous offre un récit doux, feutré, léger mais aussi un peu acerbe des préparatifs d’un évènement qui occupe toute une maisonnée, des membres de la famille à l’ensemble des domestiques : le mariage de Dolly. Cette journée de noces fournit tout le nécessaire pour montrer l’envers du décor de cette comédie so british aux tonalités grinçantes. A travers les bavardages badins autour d’une tasse de thé, les non-dits, quiproquos et actes manqués sont nombreux. Et la galerie de personnages secondaires, composé de vieilles tantes et de petits cousins, est absolument truculente.
  • Good Evening, Mrs Craven: The Wartime Stories of Mollie Panter-Downes : un remarquable recueil de nouvelles explorant la vie quotidienne des femmes pendant la guerre. La comédie sociale y côtoie le drame domestique et historique de manière très inspirée.
  • Greenery Street de Denis MacKail : une comédie mettant en scène l’installation de deux jeunes mariées dans une petite maison de Londres. Un roman qui m’a laissée assez peu de souvenirs je dois le dire, si ce n’est peut-être le sentiment d’avoir lu un roman suranné mais aussi un peu dépassé et conservateur …
  • The Village de Marghanita Laski : une comédie douce amère sur la vie d’un village anglais. Peut être pas le roman le plus marquant de l’auteur mais une lecture assez savoureuse tout de même.

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Pour aller plus loin :

  • A Very Great profession de Nicola Beauman : tout au long de plusieurs chapitres thématiques passionnants (intitulés War, Feminism, Sex, Psychoanalysis etc.), Nicola Beauman, l’éditrice, met en lumière des aspects fascinants et intrigants de la littérature féminine de l’entre deux-guerres. Dans cet ouvrage, l’auteur rend aussi un subtile hommage aux femmes qui n’ont pas pu avoir de « carrière ». Le titre de l’essai lui a été inspiré par une phrase de Nuit & Jour de Virginia Woolf : ‘Kat harine, thus, was a member of a very great profession which has, as yet, no title and very little recognition… She lived at home’ Pour Nicola Beauman, ces femmes pouvaient s’épanouir grâce à la culture et à la lecture. Leur existence a inspiré bon nombre de femmes écrivains qui ont écrit des romans teintés de frustration et d’amertume parfois mais aussi de joie et d’humour.

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Voilà, j’espère que ce billet vous a donné envie de découvrir ou redécouvrir cette maison d’édition engagée. Connaissez-vous Persephone Books ? Si oui, à travers quels titres ? Avez-vous déjà eu la chance de visiter la librairie ?

Fenny de Lettice Cooper

Fenny de Lettice Cooper

fennyDans les années 30, la jeune gouvernante Ellen Fenwick quitte son Yorkshire natal pour les hauteurs de Florence, où elle doit s’occuper de la petite-fille d’une grande actrice anglaise. Voilà un projet exaltant pour cette héroïne de roman en devenir. Sous le soleil toscan, au milieu des vignes et des oliviers, Ellen rêve et entrevoit une nouvelle vie, moins solitaire, plus romantique, plus sophistiquée aussi … Au cours de son premier été passé à la villa Meridiana, Ellen découvre le plaisir de la promenade, se livre aux douceurs de la farniente, boit son premier cocktail, se fait des amis et tombe amoureuse pour la première fois. Mais au sein de cette communauté d’expatriés privilégiés, elle découvre aussi que les apparences, de même que les relations, peuvent être trompeuses. Et alors que son cœur et sa vision du monde sont mis en péril, le fascisme menace l’Italie, ce pays qu’elle aime maintenant passionnément. Pendant que l’Histoire se met en marche et que le danger rôde, elle doit composer avec ses sentiments, ses désillusions mais aussi avec son appétit pour la vie.

Fenny est un roman dont la force narrative n’a d’égal que la richesse et la subtilité de ses portraits. C’est un petit trésor méconnu qui mérite d’être redécouvert, pour son héroïne, sa maîtrise formelle mais surtout pour la formidable délicatesse et l’authenticité de ses descriptions psychologiques.

Je me réjouis de découvrir les autres écrits de cette romancière injustement oubliée qui a signé ici un roman résolument anglais, dénué de toute mièvrerie, doux amer et aussi étrangement idéaliste et optimiste. Une Journée avec Rhoda, publié également chez Rivages il y a quelques années, est déjà dans ma PAL !

(c) Beverley Art Gallery; Supplied by The Public Catalogue Foundation

 

Mères filles, sept générations de Juliet Nicolson

Mères filles, sept générations de Juliet Nicolson

Juliet Nicolson vient d’une famille dans laquelle écrire son histoire est, depuis toujours, une tradition. Appartenant à l’aristocratie anglaise éclairée, son arrière-grand-mère, Victoria Sackville-West, a laissé derrière elle une grande quantité de journaux intimes. Sa grand-mère, Vita Sackville-West a publié de nombreux livres sur la famille, et son père, Nigel Nicolson, est l’auteur de Portrait d’un mariage. S’inspirant de la tradition familiale, c’est sous un angle nouveau et original que Juliet Nicolson aborde le thème de la filiation, se concentrant sur sept générations de femmes.

Juliet Nicolson, petite-fille de Vita Sackville West, dresse le portrait tendre et lucide des femmes de sa famille. Un voyage riche et fascinant dans les usages passés, l’aristocratie anglaise, l’émancipation féminine, la filiation, le pouvoir de l’écriture. C’est un récit puissant, traversé par des portraits vibrants de femmes dont le désir d’exister se heurte au rôle social qui leur a été assigné.
Le style, superbe et évocateur, donne vie à des figures et des époques avec sensibilité et une émotion dénuée de toute mièvrerie (qui semble d’ailleurs faire horreur à l’auteur). Des spectacles de flamenco, au Washington du Gilded Age, en passant par le jardin enchanté de Vita et les couloirs d’Oxford, c’est un long périple de plusieurs décennies qui se déploie entre ces pages.
Ce récit très personnel plaira à mon avis plus particulièrement aux admirateurs de l’anticonformiste et indépendante Vita mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à la culture et à l’Histoire britanniques ainsi qu’à la place de la femme dans la société. Le récit a aussi une très belle résonance littéraire, on le sent habité par une vraie tradition des lettres anglaises. De nombreux écrivains – et pas des moindres, y font une ou plusieurs apparitions.

Le Bel Antonio de Vitaliano Brancati

Le Bel Antonio de Vitaliano Brancati

18595222Vitaliano Brancanti (1907-1954) fut l’un des plus grands auteurs italiens du XXème siècle. Son roman Le Bel Antonio, adapté à l’écran par Mauro Bolognini avec Marcello Mastroianni et Claudia Cardinale en 1960, est l’une des œuvres les plus marquantes de ce maître du roman satyrique.

Dans cette peinture sans concession de la Sicile de la fin des années 30 / début des années 40, Brancati, fasciste devenu non fasciste, brocarde le régime et le machisme qui oppressent le pays.

A travers lui, l’auteur donne vie à une figure littéraire fascinante, Antonio. Un homme à la beauté à couper le souffle, qui fait la fierté de ses parents, suscite l’admiration et le désir partout il passe et se fait se pâmer toutes les femmes qui ont le bonheur (ou le malheur) de croiser son chemin.

Le début de l’intrigue est presque cocasse. L’irrésistible Antonio, qui a la réputation de mener la grande vie à Rome (traduire par coucher avec tout ce qui bouge, y compris les femmes mariées) est rappelé par ses parents, à Catane, en Sicile, pour épouser la fille du riche notaire, Barbara Puglisi, la plus jolie jeune femme de la ville. C’est un mariage arrangé qui signe le désespoir de toutes les admiratrices éplorées d’Antonio, à commencer par sa voisine de palier qui l’aime éperdument depuis toujours. Antonio, accommodant, accepte cette union avec plaisir, car il est tombé sous le charme de Barbara. Tout semble alors sourire à ce jeune couple qui respire la beauté et la sensualité. Il rayonne de bonheur à la sortie de l’église et est promis à un bonheur sans nuages.

Mais au bout de trois ans d’apparente félicité, le secret d’Antonio est révélé et un acre parfum de scandale met en branle le destin du couple. Le choc est d’ailleurs ressenti par tout Catane comme une éruption de l’Etna. L’abominable vérité éclate, Barbara est toujours vierge, le mariage n’a pas été consommé et peut être annulé. Après le scandale retentissant, vient la disgrâce d’Antonio et avec elle, le désespoir de ses parents (en particulier de son père qui parle alors de malédiction) et la rancœur. Car dans cette société, la valeur d’un homme ne se mesure qu’à sa virilité.

L’auteur livre une critique acerbe du système fasciste et de l’Italie machiste, empêtrée dans ses valeurs archaïques et hypocrites. La peinture des caractères, quoique exigeante, est éblouissante. Drolatique d’abord, puis grave et mélancolique, elle se fait au fur et à mesure plus grinçante. Le style est savoureux, enlevé, piquant et la réflexion sur la société de l’époque d’une grande modernité.

Lu dans le cadre du challenge Instantly Italy du forum WHOOPSY DAISY et en lecture commune avec Titine 🙂

Take Courage – Anne Brontë and the Art of life de Samantha Ellis

Take Courage – Anne Brontë and the Art of life de Samantha Ellis

Anne Brontë is the forgotten Brontë sister, overshadowed by her older siblings — virtuous, successful Charlotte, free-spirited Emily and dissolute Branwell. Tragic, virginal, sweet, stoic, selfless, Anne. The less talented Bronte, the other Brontë.
Or that’s what Samantha Ellis, a life-long Emily and Wuthering Heights devotee, had always thought. Until, that is, she started questioning that devotion and, in looking more closely at Emily and Charlotte, found herself confronted by Anne instead.

J’aurais pu remplir un carnet entier de citations extraites de Take Courage. Cet ouvrage m’a passionnée. Dès que je l’ai reçu, je me suis jetée dessus et il m’a accompagnée pendant trois jours d’intense lecture. Comme je l’imaginais, cet ouvrage se présente davantage comme un essai et une réflexion personnelle sur l’œuvre et la personnalité de la plus jeune sœur Brontë que comme une  biographie en tant que telle. Et c’est tant mieux parce que le point de vue qu’adopte Samantha Ellis ici est inédit. Il est plein de compassion et d’admiration mais aussi de finesse. Take Courage est un hommage vibrant et émouvant à un auteur profondément sous estimé et engagé. Il offre un portrait intense, profond et nuancé d’une jeune femme attachante, au caractère affirmé, à l’intelligence aigüe et qui a su créer une œuvre riche, moderne, et surtout sans compromis car toute personnelle et bien différente de celle de ses aînées.

L’ouvrage est découpé en plusieurs chapitres qui portent le prénom de chacune des personnes qui ont marqué l’existence d’Anne (tous les membres de sa famille, son père, sa tante, ses sœurs, son frère et la précieuse Tabby) mais aussi ceux des deux singulières héroïnes qu’elle a créées, Agnes et Helen.

Take Courage est particulièrement documenté mais jamais ennuyeux car il est écrit avec générosité et beaucoup d’esprit. Il s’agit d’un essai fleuve dans lequel l’auteur balaie avec une quasi exhaustivité le contexte social, familial, professionnel et littéraire qui a constitué la vie d’Anne. Samantha Ellis évoque sa vie au presbytère, ses premiers écrits avec Emily, sa plongée dans l’imaginaire d’Angria dont elle s’est affranchie par la suite, sa relation compliquée avec Charlotte (le portrait que l’auteur dresse de l’aînée des sœurs est d’ailleurs sans concession – Charlotte ayant grandement contribué à minimiser l’impact et la force de l’œuvre de sa cadette en la dépeignant comme une pauvre petite chose), son désir de s’émanciper à travers son emploi de gouvernante, sa vision lucide du monde, son désir d’écrire et de s’engager par l’écriture. L’auteur évoque avec émotion la postérité d’Anne (Elizabeth Gaskell en prend plein son grade aussi) et démonte par la même occasion quelques préjugés bien ancrés dans les mentalités.

Une lecture enrichissante et poignante que j’ai bien eu de la peine à quitter. :heart2: :heart2: :heart2:

Je vous laisse avec cet extrait :

Because of Charlotte, Anne is seen as the third Beatle. Emily is the wayward genius Lennon, Charlotte is McCartney, talented but controlling, and everyone forgets George Harrison wrote « Here come the sun » …

 

A little love song de Michelle Magorian

A little love song de Michelle Magorian

A chaque fois que je lis un roman de Michelle Magorian, c’est un coup de cœur et c’est encore le cas ici. Il s’agit cette fois d’un roman Young Adult. Les deux héroïnes ne sont plus des enfants. Rose va sur ses 18 ans et Diana, sa sœur, a 21 ans.

Lorsque le roman s’ouvre, les deux soeurs ont quitté Londres pour s’installer dans un cottage à Salmouth, un petit village au bord de la mer (on dirait presque le début de Raison & Sentiments). C’est l’été 1943, la guerre fait rage, leur père est mort au combat il y a un an et leur mère, comédienne, est partie remonter le moral des troupes à l’étranger. Rose et Diana ont été confiées aux bons soins d’un chaperon qui leur a fait faux bond. L’aventureuse Rose parvient à convaincre sa sœur, plus sérieuse, de le cacher à leur mère. Pour Rose, elles sont tout à fait capables de s’occuper d’elles-mêmes !
Pour Rose et Diana, il est venu le temps de l’indépendance et de l’émancipation. Elles se rapprochent, s’affirment, gagnent en confiance, découvrent les joies de la domesticité (elles n’ont jamais cuisiné ni lavé leur linge), trouvent un emploi. Elles se font aussi des amies et tombent amoureuses.
En outre, la curieuse Rose découvre les écrits de « Mad Hilda », l’étrange et mystérieuse précédente occupante du cottage, et à travers eux, le destin tragique et poignant d’une femme en avance sur son temps.
Rose est une jeune fille romantique, intelligente, déterminée et attachante qui ambitionne de devenir écrivain. Mais elle s’interroge sur ses capacités car elle n’est pas sûre de sortir diplômée de son école d’élite … Heureusement, Alec, le jeune libraire du village, soldat démobilisé, lui apportera son aide et son amitié et deviendra son fournisseur officiel de livres. Cet été, elle lira grâce à lui Jane Eyre mais aussi la poésie sulfureuse de DH Lawrence.
Elle fera aussi la connaissance du cousin d’Alec, un jeune garçon entreprenant qui l’emmènera faire des tours en bateau.
La prose de Michele Magorian est très douce, sobre, mais révèle des trésors de sensibilité, d’humour et de mélancolie. Le récit, porté par une galerie de très beaux personnages, est mené avec beaucoup d’adresse. Il est très romanesque, mais dans le bon sens du terme. Il a aussi l’excellent mérite de traiter de thèmes très forts et ce, avec beaucoup de pudeur, tels que la sexualité, la dépression post traumatique et l’émancipation féminine hors mariage.
A Little love song se lit comme un récit d’apprentissage poignant, moderne et très féministe. Et pour ne rien gâcher, la romance est absolument savoureuse.

Le Fantôme et Mrs Muir de R.A. Dick

Le Fantôme et Mrs Muir de R.A. Dick

Le Fantôme et Mrs Muir - Au début des années 1900, en Angleterre, une jeune et belle veuve, Lucy Muir, décide de louer un cottage dans la station balnéaire de Whitecliff où elle s’installe avec fils, sa fille et sa fidèle servante, Martha, afin d’échapper à sa belle-famille.

Dès le premier soir, elle surprend l’apparition du fantôme de l’ancien propriétaire, un capitaine de marine du nom de Daniel Gregg. Se noue alors entre eux une relation d’abord amicale, à peine troublée par quelques bouderies…

Ce roman a un petit charme suranné mais est aussi étonnamment moderne. Mrs Muir voit sa vie, et celle de ses deux jeunes enfants, bouleversées à la suite du décès prématuré de son mari. Cette rupture dans son existence remet les pendules à l’heure pour elle. Notre héroïne compte devenir indépendante et s’affranchir de l’influence de sa belle famille et surtout de sa belle sœur qui a une fâcheuse tendance à la sous estimer et s’est toujours mêlée de sa vie. Elle décide de s’éloigner de Londres et de s’installer, à la surprise de tous, dans une villa au bord de la mer. S’ensuit une rencontre inattendue avec le fantôme de l’ancien propriétaire, un vieux briscard grognon et caractériel avec qui elle tissera, au fil des années, une très forte amitié et une entente formidable.
Il est étonnant qu’un roman publié en 1945 puisse mettre en scène une telle relation entre un homme et une femme. Ils sont sur un pied d’égalité. Mrs Muir ne se soumet jamais au désirs et caprices du capitaine, leur amitié et leur affection reposent sur des compromis mais aussi sur une précieuse empathie et un soutien indéfectible. Plus qu’un roman fantastique, Le Fantôme et Mrs Muir nous offre le portrait d’une femme courageuse et indépendante ainsi qu’un récit familial riche et nuancé.
Et pour ajouter à son charme, le roman, plein d’humour, porte un regard acéré et malicieux sur ses personnages.
Une lecture savoureuse qui m’a donnée très envie de me replonger dans le magnifique film de Mankiewicz.

 

Lucille, à l’heure gourmande de Gwenaële Barussaud

Lucille, à l’heure gourmande de Gwenaële Barussaud

Dans le Paris de Napoléon III, les aventures de Lucille, arrivée dans la capitale avec sa soeur, l’héroïne de Pauline : demoiselle des grands magasins.

Ce 3ème tome de la saga des Lumières de Paris est encore une fois un excellent cru !  J’ai l’impression de dire ça à chaque fois, à tel point que je serais bien incapable de dire quel est mon tome préféré ou quelle héroïne m’a semblée être la plus attachante. Ici, c’est la jeune Lucille, sœur de Pauline, l’héroïne du 1er tome, qui est mise en vedette. On découvre assez vite et Lucille ne le cache à aucun moment, que la jeune fille est encore plus déterminée et ambitieuse que ne l’est son aînée. Elle est aussi plus spontanée et quoique tout aussi intelligente, moins réfléchie et plus prompte à prendre des décisions qui peuvent lui porter préjudice. Dans la première partie du récit, on apprend qu’elle s’est amourachée, à Dinard, d’un homme qui a trompé sa confiance. Impulsive et passionnée, Lucille risque de se brûler les ailes et de voir ses rêves de travailler un jour à son compte partir en fumée à cause d’une erreur de jugement et d’un égarement sentimental. Lucille est indéniablement une héroïne tout feu tout flamme.
Domestique puis femme de chambre d’une demoiselle de bonne famille, Lucille trouve bientôt un emploi dans un grand hôtel parisien. Elle a largement exagéré ses dons en anglais pour pouvoir y travailler et lorsqu’on lui confie le service d’une très riche cliente américaine, elle se mord les doigts à l’idée d’être démasquée. Heureusement, Lucille est pleine de bonnes intentions et extrêmement travailleuse, son courage et sa détermination finiront par payer.
Ce roman traite de la prise d’initiatives des femmes sous le Second Empire avec crédibilité et un vrai goût du romanesque. Le lecteur a envie de voir Lucilleaccomplir son rêve en montant sa propre affaire. Une fois de plus, on suit le parcours social et professionnel (car il s’agit avant tout de cela dans cette série) de notre héroïne avec un vrai plaisir, grâce notamment au suspens qui imprègne l’intrigue et les descriptions du Paris haussmanien, plus particulièrement ici du monde de l’hôtellerie.
Les Règles d’usage de Joyce Maynard

Les Règles d’usage de Joyce Maynard

Gros coup de coeur pour ce roman de Joyce Maynard qui vient d’être publié chez Philippe Rey.

Le sujet du récit est douloureux. Son héroïne est Wendy, petite adolescente américaine de 13 ans environ. Elle vit à Brooklyn dans une famille aimante et recomposée, auprès de sa mère, de son beau-père et de son demi-frère âgé de 4 ans. Le 11 septembre 2011 bouleversera à jamais sa vie. Sa mère, partie travailler, ne revient pas. Au fur et à mesure que le temps passe, l’espoir s’amenuise. Les avis de recherche placardés partout à New York n’obtiennent pas de réponse et le chagrin prend de plus en plus de place dans le coeur de Wendy et des siens. Le désespoir et la sidération l’envahissent, et avec eux, la lente prise de conscience que sa mère ne reviendra jamais. Comment réapprendre à vivre sans la personne qui comptait le plus au monde pour elle ? Et comment oublier les derniers mots plein de colère qu’elle lui a adressés, des mots d’une adolescente en crise souffrant de l’absence de son père ? Le chemin de la jeune fille la mène bientôt en Californie, au près d’un père qu’elle n’a jamais vraiment connu mais auprès de qui elle essaiera à réapprendre à vivre. Tiraillée entre ses deux foyers et assaillie par ses souvenirs, la jeune fille devra composer avec des sentiments contradictoires et une tendresse toujours très vifs pour son beau-père et son petit frère qui l’ont laissée partir le coeur lourd.
En Californie, Wendy fait l’école buissonnière, part à l’aventure et fait de bien drôles de rencontres, à commencer par un libraire solitaire qui lui fera découvrir les bienfaits de la lecture.
Sur cette terre inconnue, Wendy apprend à connaître son père, se lie d’amitié avec la compagne de celle-ci, une sensible éleveuse de cactus, et tente, sans trop y croire ni y faire trop attention, de survivre. Mais cette vie en Californie, qu’elle a appris à idéaliser toutes ces années, lui apportera-t-elle tout ce dont elle a besoin pour se reconstruire et préparer une nouvelle étape de son existence ? Retournera-t-elle à Brooklyn auprès de Josh et du petit Louie ?

J’ai eu l’occasion de rencontrer Joyce Maynard il y a quelques jours et j’ai l’impression, après avoir lu Les Règles d’usage, qu’il est la quintessence même de ce qu’elle est. Voilà un roman mélancolique et poignant mais aussi désarmant d’optimisme et pétri d’humanisme.
Dans son récit, Joyce Maynard réussit l’équilibre parfait entre drame familial intense et profond et roman d’apprentissage lumineux. Elle traite de la période délicate de l’adolescence avec une dextérité rare, une finesse dans le détail et une sensibilité qui ne tombe jamais dans l’affectation. Le roman est empreint d’émotions et de tendresse. Toutes les scènes avec Louie sont absolument irrésistibles, je n’ai jamais vu un auteur donner vie à un petit garçon de 4 ans avec autant de talent. On dirait qu’il sort littéralement des pages pour vivre auprès de nous le temps de notre lecture.
Les Règles d’usage est aussi un roman foisonnant, plein de péripéties, d’humour et d’émotions, incroyablement généreux d’un point de vue romanesque. Il m’est vraiment allée droit au coeur, je ne peux donc que vous le conseiller chaudement !